Durant les années 1960, j’ai été jeune chansonnier, ce qu’on appellerait de nos jours « chansonnier de la relève ».
On donnait des spectacles dans les boites à chansons comme La Brique à Limoilou, le Cro-Magnon à Sainte Foy, la Halte des chansonniers sur la rue Couillard et au Petit Champlain pour n’en nommer que quelques-unes. Il nous arrivait aussi d’aller chanter dans des salles paroissiales, dans des couvents, dans de petits cafés, et même, dans des sous-sols d’églises.
Cinq jours avant Noël, mon « agent » m’appelle pour m’offrir un contrat dans un restaurant du boulevard Charest :
« C’est pour une organisation qui s’occupe des personnes défavorisées de Saint-Roch. C’est leur diner de Noël. Tu leur chantes sept ou huit chansons. Tu arriveras au resto vers une heure. »
Le jour dit, je me présente devant un public d’une trentaine de personnes. Je m’installe au micro et je leur annonce le titre de ma première chanson, Ma reine était bergère, une balade poétique du style des troubadours du Moyen Âge. Catastrophe ! Personne n’écoute… Je réalise rapidement que mes petites balades à l’eau de rose ne seront pas les bienvenues. Mais « The show must go on » !
Après ma troisième ritournelle, un gars dans le salle me crie « On veut du Western tabar… ». Heureusement, je connais deux chansons de Willie Lamothe que je m’empresse de leur interpréter. Wow, les gens chantent avec moi !
Une dernière chanson. C’est sur quelqu’un que tous connaissent à Saint-Roch. Ça s’appelle Ange-Aimée.
Je commence donc à leur chanter, sur un rythme western bien sûr, l’histoire triste d’une fille qui fait la rue et que l’on surnomme « La trente sous ». Ils écoutent religieusement. Mon court spectacle terminé, comme je m’apprêtais à quitter la salle, une femme dans la trentaine, cigarette au bec, vint vers moi.
« Éh, l’chanteur, c’est moé Ange-Aimée trente sous ! ». Je figeai prêt à m’excuser…
« Fais pas cette face-là mon pit, me dit-elle. J’ai ben aimé ta toune pis tu riais pas de moé. Ça va être mon cadeau de Noël. Chus une vedette asteure, ajouta-t-elle en me faisant un clin d’œil. Si tu fais un record, mets ma chanson dessus. Marci. »
En revenant chez moi, j’ai réalisé que donner un peu de bonheur, même sans s’en rendre compte, c’était peut-être ça, la magie de Noël.
Pratiquant « le plus vieux métier du monde », Ange-Aimée Simard est décédée le 30 mars 2019 à l’Hôtel-Dieu de Québec à l’âge de 78 ans.
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NDLR – Ange-Aimée Simard est l’un des personnages en vedette dans la biographie romancée de ,l’ex-journaliste et militant Gilles Simard, Basse-Ville blues, publiée en 2021.
André Lévesque administre le groupe Facebook Limoilou des Baby Boomers, où ce texte a été publié une première fois.
Outre cet article, on peut aussi apprécier de nombreux textes d’André dans son ebook : https://www.edition999.info/Limoilou-au-quotidien.html.
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